Chapitre 2. Un dilemme légal et moral

Le pasteur avait besoin de mettre à jour l'ordinateur de son bureau à l'église. Un diacre proposa de lui apporter et de lui installer une copie d'un système d'exploitation propriétaire bien connu ainsi qu'une suite bureautique propriétaire. Je lui ai suggéré de faire un essai avec GNU/Linux - après tout, il était fourni (à cette époque) avec StarOffice 5.2[2]. J'utilisais Mandrake Linux 8.0, et je lui ai même proposé de lui installer et configurer son système. Le diacre a répondu qu'il en avait parlé avec un informaticien à son travail et qu'il pensait que GNU/Linux n'était « pas encore prêt ». Le pasteur pencha alors pour la proposition de son diacre.

Cette expérience relève plusieurs questions importantes en rapport avec le processus de prise de décision. Premièrement, ils n'ont pas saisi les enjeux et n'ont pas tenu compte de la réalité. Deuxièmement, ils ont manqué une occasion d'élargir leur horizon. Troisièmement, ils ont placé leur église dans une situation légalement dangereuse, principalement en rapport avec la loi sur le copyright, ce qui est une grave erreur. Examinons ces questions en détails.

Le diacre n'avait pas lui-même expérimenté GNU/Linux. Il n'a fait que répéter les paroles d'autrui. Impossible de savoir si ce « technicien » avait sa propre expérience de GNU/Linux. J'avais de l'expérience à la fois avec GNU/Linux et avec le système qu'ils utilisaient. Le fait est que de nombreuses entreprises, particulièrement les plus petites, se mettaient déjà à déployer GNU/Linux sur les postes de travail. Le pasteur se décida sur un ouï-dire d'une expérience individuelle. S'il n'avait pris qu'une heure ou deux pour me permettre de lui montrer GNU/Linux, à lui et à son équipe, il aurait pu baser sa décision sur une base plus fiable.

D'un point de vue théologique, ce pasteur a manqué une belle occasion de démontrer à ses ouailles la capacité d'adaptation au changement, à se libérer des anciennes manières de penser. C'est un combat que mènent les responsables d'églises dans tous les domaines. Que ce soit le style de louange ou le type d'activité à démarrer ou à arrêter cette année, les églises sont confrontées à la décision de se distancer de leur confort et à plonger dans le royaume de la foi. En tant que pasteurs, nous enseignons nos assemblées que servir son prochain s'applique à tous les domaines de la vie. Nous nous devons donc d'être des exemples dans la manière de faire face aux nouveaux défis avec sagesse et intelligence.

En plus de cela, il se peut qu'il ait accessoirement encouragé l'utilisation illégale de logiciel. Selon cette conversation, il est malheureusement possible que le diacre ait violé le copyright en utilisant ce système propriétaire. Selon la manière dont l'église est organisée, lui et le diacre (potentiellement toute l'église) pourraient être tenus responsables de violation de copyright. Une entreprise a dû débourser $100'000 (85'000€) parce qu'ils « pensaient » qu'ils étaient « en ordre » avec leurs logiciels propriétaires. En conséquence, ils n'utilisent maintenant plus que des logiciels libres.

La constitution des Etats-Unis prévoit la loi sur le copyright qui vise à équilibrer les droits entre les auteurs, les artistes et les développeurs, et le grand public. Le copyright n'est pas un droit constitutionnel, et n'est pas non plus reconnu comme une loi « naturelle ». Le copyright offre aux auteurs les droits exclusifs sur leurs oeuvres. Ces droits sont cependant limités, à la fois en terme de durée et d'utilisation. Par exemple, le copyright est limité à 70 ans après le décès de l'auteur, et le public est autorisé à citer de petits extraits dans le contexte de critiques ou d'autres domaines semblables.

Le logiciel est soumis au copyright tant que le développeur ne le place pas explicitement dans le domaine public. La plupart des logiciels commerciaux sont soumis au copyright et incluent une licence qui spécifie les droits de l'utilisateur. Ceci comprend habituellement le droit d'exécuter le programme et d'en faire une copie de sauvegarde. Par contre, les utilisateurs n'ont en principe pas le droit de modifier, de copier ou de redistribuer le programme. Cela signifie qu'il est illégal de copier ou de partager ses logiciels avec son voisin, sauf si la licence le permet explicitement.

La situation ci-dessus implique un membre de l'église qui a pu fournir des logiciels à l'église en violation des droits de licence et du copyright. Prêter un CD contenant un logiciel propriétaire à son voisin implique les mêmes violations. Le fait est que de nombreuses personnes, chrétiens y compris, partagent fréquemment des logiciels et d'autres contenus en dépit des normes légales. Le partage n'est pas immoral, mais le non-respect des termes d'une licence l'est.

Nous voyons là le problème des licences non libres; elles tentent d'interdire le partage et/ou la modification par les utilisateurs. C'est inhabituel pour un chrétien - ainsi que pour les adeptes de la plupart des autres croyances - car pour lui, la manifestation première de l'amour de Dieu est le don et le partage. Le logiciel libre est le bélier technologique dans les buissons (NDT: référence à Isaac !) qui offre aux utilisateurs aussi bien qu'aux développeurs un modèle économique qui n'interdit pas le partage.

Nous ne connaissons pas le nombre d'églises confrontées aux mêmes erreurs de raisonnement lors du choix de leurs logiciels. Cependant, un chrétien de la Nouvelle-Orléans à récemment écrit qu'il connaissait une église disposant de plusieurs ordinateurs dont un seul disposait de logiciels acquis légalement. Même sans tenir compte des possibles suites judiciaires, on ne peut que s'étonner que l'Épouse de Christ - l'Église - utilise des logiciels propriétaires de façon illégale. Imaginez la déception du Père Céleste devant cette situation.

Certaines églises pensent qu'elles se doivent de disposer du dernier cri en matière de logiciels. En fait, beaucoup d'églises ne réalisent pas que les logiciels « dernier cri » ne sont même pas propriétaires. Certaines églises refusent le changement en disant que « nos logiciels actuels sont simples d'utilisation ». Ceci pour ne pas dire que les alternatives libres ne sont pas simples à utiliser. La question de fond est simplement qu'ils se sentent à l'aise avec ce qu'ils ont.

L'église doit réaliser que la simplicité d'utilisation, même si elle est importante, n'est pas le seul critère de décision, particulièrement lorsqu'une raison morale importante entre en jeu. Il est difficile d'imaginer une raison plus importante de changer que le désir d'obéir au commandement du Christ d'aimer son prochain comme soi-même. Les logiciels propriétaires ne vont pas dans ce sens. Les logiciels libres et open source, par leur nature, encouragent les chrétiens à aimer leurs prochains en permettant le partage.

J'ai sous-entendu que les églises utilisant des logiciels propriétaires illégalement avec le seul argument de la facilité d'utilisation déshonoraient Dieu. Il est triste de voir des gens lever les mains au ciel en disant « eh bien nous ne pouvons pas changer, car les logiciels propriétaires sont si faciles à employer ». Imaginez que Jésus ait dit: « Désolé, Père, mais je me suis habitué à ma condition humaine. Je n'ai encore jamais été sur une croix. J'ai entendu que c'était atroce. Je suis simplement trop engagé dans mes voies. »

En plus de cela, si la simplicité d'utilisation est le seul critère dans ce processus décisionnel, les questions technologiques et morales sont ignorées au détriment de l'église. Le logiciel libre le plus important est relativement facile d'utilisation. Même ainsi, est-ce que la facilité d'utilisation surpasse vraiment le défi moral d'être forcé à dépendre de quelqu'un d'autre ? Est-ce que la facilité d'utilisation surpasse la liberté et l'impératif moral d'aimer notre prochain, par l'expression du don et du partage ?

La Business Software Alliance (BSA) est une organisation qui fait respecter les licences des logiciels dans le domaine commercial. Ils surveillent également des écoles privées. Même si je ne connais pas d'église poursuivie par la BSA, les églises ne sont pas au-dessus des lois. Les possesseurs de licences peuvent réclamer des dommages aux contrevenants jusqu'à $150'000 (128'000€) par programme copié, sans tenir compte d'éventuelles autres considérations financières. De plus, les contrevenants peuvent être poursuivis pénalement et être contraints à des amendes jusqu'à $250'000 (215'000€) et à la prison[3].

Idéalement, les églises utilisant des logiciels propriétaires (que les licences soient respectées ou non) devraient les remplacer le plus rapidement possible par des alternatives libres et open source. Elles pourraient non seulement en profiter pour en transmettre des copies à leurs membres peu fortunés, mais cela leur permettrait également d'expérimenter un niveau de liberté au-delà de ce qu'elles ont pu imaginer. A long terme, elles seront capables de mieux aider les autres de manière encore plus variée qu'actuellement. Après avoir effectué ce passage, le bonus financier résultant ne sera qu'un bénéfice secondaire.

Tout cela a des conséquences pour vous et votre église. Saisissez-vous les enjeux ? Êtes-vous prêt à examiner des faits plutôt que d'écouter les rumeurs ? Ce livre va vous aider en tant que responsable d'église à mieux comprendre les problématiques essentielles qui se posent lorsqu'une église définit son environnement informatique.



[2] Il faut relever que StarOffice n'est pas un logiciel libre. OpenOffice.org, qui en est un dérivé est lui un logiciel libre.