La liberté des licences

Les chrétiens doivent sérieusement se poser quelques questions. Est-ce que le possesseur d'un ordinateur a le droit de contrôler cet ordinateur, c'est-à-dire quand, où et comment il sera utilisé ? Les utilisateurs ont-ils le droit de savoir ce que contient le code source avant de lancer un programme sur leur ordinateur ? Les utilisateurs ont-ils le droit d'adapter les outils qu'ils utilisent pour correspondre à leur système et à leurs exigences ? Quant à moi, développeur chrétien, ai-je le droit de forcer les utilisateurs à dépendre de moi pour toute modification ?

Il existe peu d'outils comparables à une licence de logiciel propriétaire qui induisent une telle dépendance. Des compétences techniques, l'argent ou d'autres raisons peuvent pousser un utilisateur à se tourner vers le fournisseur pour modifier ou corriger un outil, mais aucune licence n'empêche cela. La loi sur le droit d'auteur n'empêche pas la modification ou la dégradation d'un livre ou d'un enregistrement musical par la personne qui l'a acheté tant qu'il n'est pas redistribué. Cependant, les licences de logiciels propriétaires empêchent bel et bien ce genre de manipulations, sans tenir compte du fait que le logiciel soit redistribué.

Un membre du congrès péruvien a préparé un projet de loi qui exigerait que toute les administrations de l'état péruvien n'utilisent que du logiciel libre. En réponse aux inquiétudes d'un fournisseur propriétaire, cette personne a justifié son projet de loi comme ceci:

 

« Ce que le projet de loi dit clairement, c'est que pour qu'un logiciel soit acceptable pour l'État, il ne suffit pas qu'il soit techniquement capable d'effectuer une certaine tâche, mais il faut en plus que les conditions contractuelles satisfassent une série d'exigences à propos de la licence, sans quoi l'État ne peut pas garantir au citoyen un traitement adéquat de ses données en ce qui concerne leur intégrité, leur confidentialité et leur accessibilité à long terme. Ce sont des éléments très critiques pour garantir son fonctionnement normal. »

 
 --Dr. Edgar David Villanueva Nuñez - (8 avril 2002, version anglaise, site Web de Open Source Initiative http://opensource.org/docs/peru_and_ms.php).

Le docteur Nuñez explique longuement que pour garantir une société libre, les citoyens (dont beaucoup travaillent pour le gouvernement péruvien) doivent avoir accès au code source des programmes pour s'assurer de leur stabilité, et pour pouvoir le modifier selon leurs propres besoins. Cette question de libre accès concerne également l'éducation (particulièrement aux États-Unis). Là où le logiciel propriétaire interdit l'étude du code source, le logiciel libre garantit le libre accès au code (l'information à la base du programme).

Plusieurs gouvernements en dehors des États-Unis craignent que certains fournisseurs travaillent de concert avec la CIA pour les surveiller. Les citoyens des États-Unis doivent savoir que certains fournisseurs peuvent détecter la configuration des logiciels des utilisateurs par Internet, un peu à la manière que décrivait George Orwell. Un certain nombre d'organisations de défense de la vie privée sont actives dans ce domaine, aussi bien sur Internet que dans nos affaires intérieures. La Fondation pour le Logiciel Libre publie une liste de ces organisations espionnes sur son site Web.

Dans la mesure où nous avons traité dans ce chapitre un bon nombre de termes et de concepts assez difficiles à cerner, il peut être utile d'examiner les différentes libertés offertes par différentes licences. Il peut également être intéressant de comprendre comment la nature commerciale ou non commerciale de la distribution d'un logiciel peut influencer sa licence. Le tableau qui suit va éclairer quelque peu les choses.

Droits découlant des licences propriétaires et des licences libres
 Utilisation pour n'importe quel usageÉtudierModifierRedistribuerDistribution ouverteDistribution fermée
Domaine publicXXXXXX
Propriétaire commercialX     
Partagiciel (propriétaire)   X*  
Graticiel (propriétaire)   X  
Licence libre et open source (copyleft)XXXXX 
Licence libre et open source (non copyleft)XXXXXX
* Seules les copies non enregistrées peuvent être redistribuées.

Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessus, la seule différence réelle entre les licences qui ne sont pas sous copyleft et le logiciel du domaine public est que le logiciel libre et open source est sous copyright. Le copyright permet aux développeurs de combattre les violations des conditions de distribution. Dans la plupart des cas, cela ne s'est pas révélé nécessaire. Les licences sous copyleft ajoutent une restriction qui empêche un futur développeur d'ajouter des restrictions aux versions modifiées. L'idée étant que le logiciel demeure « libre » pour tout utilisateur.

Certaines personnes pensent que le développeur a le droit de décider comment il va distribuer son logiciel et elles voient la GPL comme une restriction pour le développeur. Autrement dit, une licence qui n'est pas sous copyleft permet au développeur d'utiliser du code qui a été soumis librement à la communauté et d'en faire un dérivé propriétaire. Ainsi, le développeur a le droit de restreindre la liberté des autres, tout en ayant bénéficié lui-même de cette liberté.

L'Initiative Open Source (www.opensource.org) prétend que le développement de logiciel propriétaire n'a que peu de sens. Mac OS X d'Apple est bien basé sur FreeBSD, mais reste un système propriétaire. Il existe une version développée par Apple appelée « GNU-Darwin » qui est publiée sous forme de logiciel libre. Apple, qui paraît maintenant comme un des principaux contributeurs de la communauté open source, devrait continuer sur sa lancée et publier tout son code sous licence libre/ouverte. Cela montrerait qu'ils ont totalement compris les fondements philosophiques du logiciel libre.

Comme déjà mentionné, la plupart des licences propriétaires limitent l'utilisation d'un programme à un seul exemplaire du logiciel utilisé par un utilisateur sur un seul ordinateur. D'autres limitations peuvent porter sur un usage éducatif ou non commercial. Par exemple, beaucoup de graticiels sont seulement gratuits pour une utilisation non commerciale. Le don de logiciels de Microsoft aux oeuvres caritatives et aux écoles est souvent soumis au fait que ces logiciels ne doivent être utilisés que dans un cadre institutionnel. Les licences libres ne placent pas de telles restrictions.

Il faut relever, particulièrement pour les consultants qui travaillent pour des organisations religieuses et à but non lucratif, que les termes « libre » et « ouvert » n'excluent pas la possibilité de tirer profit de son travail. Des développeurs peuvent programmer et vendre leurs programmes tant qu'ils veulent. La Fondation pour le Logiciel Libre vend pas mal de logiciels, et à un prix non négligeable. Red Hat, une entreprise basée à Raleigh, Caroline du Nord, a appris comment profiter du logiciel libre et open source. Beaucoup d'organisations vendent de l'expertise technique, ce qui est de toute manière le plus coûteux dans le domaine du logiciel.

Certains développeurs ne souhaitent pas que la concurrence ait accès à leur code source. Ce qui est ironique, c'est que lorsque le concurrent améliore le logiciel, le développeur original en bénéficie également. Les deux concurrents bénéficient en dépensant moins d'argent dans le développement, et le client réalise des économies. Ainsi, au lieu de s'affronter, les deux collaborent. Cela donne fondamentalement une situation gagnant-gagnant.

La nature des licences libres et open source a soutenu la création d'un marché des logiciels très compétitif. Au lieu d'un fournisseur unique détenant un monopole, plusieurs fournisseurs offrent un large éventail de solutions. De la distribution orientée famille de Linspire vendue par Wal-Mart, en passant par les solutions centrées sur les entreprises de Novell et Red Hat, les utilisateurs peuvent trouver un fournisseur avec des logiciels et des services solides. Parmi le choix de fournisseurs et de solutions, il y a aussi une grande variété de prix.

Ironiquement, on a accusé le logiciel libre d'être un concept communiste. On peut imaginer le camarade Jones développant un nouveau programme pour le « peuple ». Certains imaginent même que le développeur doit reverser tout ce qu'il pourrait gagner à la communauté. Comme je l'ai mentionné, le logiciel libre a fait émerger de nouvelles entreprises. Red Hat est un fournisseur de GNU/Linux pour les entreprises basé à Raleign en Caroline du Nord. SuSE AG a été racheté par Novell, le géant des réseaux. De nombreuses autres entreprises ont jailli dans la lancée de la communauté du logiciel libre.

Beaucoup de fournisseurs distribuant du logiciel libre et open source (comme ceux que je viens de mentionner) ajoutent aussi des programmes non libres dans leurs distributions. Dans la communauté du logiciel libre, plusieurs pensent que ce n'est pas conforme à leur éthique et tentent de l'éviter. En plus, un certain nombre d'entreprises ont créé leurs propres licences sous l'appellation « open source », même si parfois celles-ci sont trop restrictives pour correspondre aux standards de la Fondation pour le Logiciel Libre ou de l'Initiative Open Source.

Il est vrai que beaucoup de programmes ne sont pas seulement libres, mais aussi gratuits. Mais même le logiciel gratuit peut induire un certain coût. Nous voyons des gens devenir consultants, techniciens de support, auteurs de documentation, ainsi que d'autres manières de profiter du logiciel libre. Certains ont découvert que la vente de CD de logiciels libres pouvait être profitable, ou un moyen de générer des fonds pour les organisations sans but lucratif.

Le logiciel libre n'est ni capitaliste, ni communiste. Il encourage les gens à bâtir sur des fondations déjà posées. Il réduit la duplication des efforts et provoque la collaboration et la créativité. Il diminue l'égoïsme et promeut la communauté. Il réduit les coûts de développement et améliore la stabilité. Le défi pour les entreprises est d'apprendre comment en profiter. Le défi pour l'Église est d'apprendre comment le déployer efficacement.